Haïti se distingue dans l’univers monétaire. Ce pays dispose en effet du dollar haïtien qui n’est pas une monnaie virtuelle mais qui, étrangement, est une monnaie imaginaire ! Le propre de l’imaginaire étant – par définition – de n’avoir pas d’existence matérielle, il n’en reste pas moins que la plupart des transactions en Haïti se calculent en dollar haïtien tandis que les règlements en monnaie sonnante et trébuchante se font en gourdes ou en dollars américains.
Fiction monétaire et agilité mentale
Michel-Rolph Trouillot avait tort de déclamer que « Haïti n’est pas étrange, mais que c’est la fiction de l’exceptionnalisme haïtien qui l’est ». Cette gymnastique cérébrale pratiquée à longueur de temps par les Haïtiens est, de fait, exceptionnelle et révélatrice chez eux d’une agilité mentale que bien d’autres peuples leur envieraient. Pour autant, ce mérite – et cette admirable faculté de conceptualiser – n’ont pas l’air d’être appréciés à leur juste valeur, y compris par les Haïtiens eux-mêmes. N’a-t-on pas lu un certain Monsieur Boyer écrire en 2012 dans un des journaux haïtiens nationaux : « Quoi que nous fassions, nous n’arrivons pas à nous défaire d’une fiction: le dollar haïtien » ? Fiction néanmoins très terre-à-terre car les commerces facturent en dollars haïtiens mais n’acceptent que des règlements en gourdes au cours fixe de 5 gourdes pour 1 dollar haïtien.
Imaginaire et identité haïtienne
Cet exercice d’équilibriste incessant semble représenter un élément central dans la compréhension de la dynamique du peuple haïtien. Ce n’est certes qu’une singularité monétaire mais elle en dit long sur la relation existant dans ce pays entre son imaginaire national, son économie populaire et l’argent. J’irai même plus loin car la persistance au fil du temps de cette monnaie imaginaire, en dépit de multiples tentatives intérieures et étrangères de l’éradiquer, est incontestablement une affirmation – ou une réaffirmation ? – de leur identité nationale.
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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et Directeur Général d’Art Trading & Finance.
Il est également l’auteur de : « Splendeurs et misères du libéralisme », « Capitalism without conscience », « L’Europe, chroniques d’un fiasco économique et politique », « Misère et opulence ». Son dernier ouvrage : «Pour un capitalisme entre adultes consentants», préface de Philippe Bilger.
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