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Une fois encore, les habitants du Bel-Air, dans la solitude et l’indifférence du monde, de la même manière que le général canadien Romeo Dallaire, témoin du génocide rwandais, ont ce vendredi  saint serré la main du diable. Les atrocités commises par les gangs armés se réclamant proches du pouvoir de facto en Haïti, ne peuvent être celles des humains. C’est le diable à l’œuvre dans cette République où la mort a élu domicile. 

Pourtant, cette réalité est bien occultée. Du moins présentée au monde de manière sélective. Quand elle n’est pas tout simplement truquée par ceux qui, devant la faillite organisée d’Haïti, ont le contrôle sur tout. Derrière cette œuvre macabre, certains analystes croient qu’il n’y a pas seulement un mépris flagrant pour les droits de la personne mais toute une politique de mise à mort d’Haïti décidée ailleurs.

Face à l’horreur devenue quotidienne, certaines organisations de droits humains sur place ont tenté vainement d’attirer l’attention de la communauté internationale sur le caractère massif et répétitif des violations graves des droits commis par ces groupes œuvrant sur l’autorité des responsables gouvernementaux. Des femmes, enfants et vieux sont assassinés à un kilomètre du palais présidentiel et des commissariats de police sans qu’aucune force ne soit envoyée à leur secours. Les consciences semblent être endormies.

Du côté de l’international, l’indifférence est frappante. Il est à se demander quel est le rôle véritable du bureau intégré des Nations Unies en Haïti et de la section des droits humains de l’ambassade américaine en Haïti. Ces massacres ne suffisent-ils pas pour que le procureur de la Cour pénale internationale, devant la défaillance caractérisée de la justice haïtienne, ouvre une enquête en Haïti afin de déterminer la responsabilité des uns et des autres ?

Peut-être qu’un jour, Madame Michele Sison, tout comme Madame Lalime, dans leur maison de retraite, reconnaîtront leur culpabilité ainsi que l’échec de leur mission d’aider à renforcer l’État de droit en Haïti. Après avoir assisté à tant de crimes abominables, pour se sentir coupable d’une faute ou pour comprendre le caractère tragique d’une situation, il faut être humain.

La voie de la guérison n’est pas toujours facile quand le mal dont on souffre est lié à un manque de responsabilité ou encore à la cupidité. On assiste à une vraie faillite humaine. Pour gagner la cause de l’humanité, il faut croire que les êtres humains sont égaux, à quelques endroits qu’ils puissent être.

Le rôle trouble de l’ambassade américaine
Après que les policiers du groupe Fantom eurent déclenché leur mouvement de protestation pour réclamer les corps de leurs collègues assassinés lors de l’intervention de la PNH au Village-de-Dieu, l’ambassade américaine a rendu publique une note pour mettre ses employés en garde contre les agissements de ces agents. Elle a qualifié ce groupe d’organisation criminelle. Pourtant, la liberté syndicale a été reconnue à certains groupes, dont la SPNH. L’intervention de cette mission diplomatique pour disqualifier ce groupe avait suffi pour que le Haut-État major de la police lance sa traque contre les policiers syndiqués, une attitude contraire à la liberté syndicale qu’on leur reconnaît pourtant.

Alors que de l’autre côté du mur, le G9-et-alliés, par le biais de son commandant en chef, venait tout juste de revendiquer les incendies de maisons et l’assassinat de plusieurs personnes, dont celui d’un vieil homme calciné sur place à cause de l’incapacité physique de sa femme pour le sauver. Un traitement différentiel qui en dit long. Peu avant cette tragédie humaine, quatre personnes ont été kidnappées à l’enceinte d’une église adventiste en plein culte d’adoration, dont le pasteur titulaire.

Aucune note du Core Group pour qualifier le G9-et-alliés d’organisation criminelle pour ses atrocités. Ce sont quand même des crimes graves qui choquent la conscience universelle et pour lesquels les auteurs et complices, civils ou policiers, devront un jour répondre, tant sur le plan national et international. Les États-Unis et les pays regroupant au sein du Core Group considéré comme un syndicat diplomatique, ferment les yeux sur ces massacres en série planifiés par l’entourage immédiat du chef de l’État. Au contraire, ils appellent le gouvernement haïtien et notamment Jovenel Moïse à prendre toutes les mesures pouvant conduire à l’organisation d’élections cette année à travers lesquelles ils cherchent à renforcer un « non État » totalitaire au service du capital financier international et du marché global. La logique de fonctionnement de ce système est la subordination de l’État national au profit du marché global au contrôle duquel se trouvent les multinationales des grands pays industrialisés. Tout ceci doit se réaliser sous l’égide d’une constitution non conforme à ce qu’on sait être le vœu général du peuple. On veut nous faire revenir au système d’un homme, favorisant le retour de certaines attitudes caractéristiques de l’ordre ancien que notre raison – ou notre amour pour la liberté – avait proscrites. Un véritable code noir des temps modernes qui rappelle le colbertisme dans sa logique d’accumulation et mercantile hors des frontières métropoles, selon le principe « tout par et pour la métropole ».

Rappelons toutefois que ces élections prônées à grand renfort de propagande auraient dû être organisées depuis octobre 2019 pour renouveler intégralement la Chambre des députés en application de l’article 92-3 de la Constitution, les deux tiers du Sénat en 2017 et en 2019, selon l’article 95-3 et les présidentielles en octobre 2020 aux termes de l’article 134-2. Ces tâches se sont relevées totalement impossibles. Non seulement le mandat présidentiel a expiré depuis le 7 février 2021 mais encore les conditions sécuritaires d’Haïti ne le permettent pas. Les élections devraient être des alternatifs viables. Dans l’impunité manifeste, les « maîtres en démocratie » proposent aux Haïtiens des élections sous le contrôle des entités criminelles privées.

La partialité du Core Group
Le refus de Jovenel Moïse d’organiser les élections aux échéances prévues par la Constitution était une stratégie bien pensée, soutenue par ses tuteurs internationaux afin de lui permettre de confisquer la souveraineté nationale. C’est une politique de fait accompli appliquée par Moïse mais décidée par Washington à partir de son modèle de démocratie réduite, synonyme du totalitarisme. Ceci n’est pas acceptable que la volonté de tout un peuple soit confisquée par un seul homme malgré la mise en garde lancée par la Constitution en ses articles 58 et 59. Dans une démocratie, les citoyens doivent pouvoir jouir de leur liberté politique en élisant leurs représentants à tous les niveaux.

L’indifférence de la communauté internationale est une cause de responsabilité. Comme le simple citoyen, elle sait que le gouvernement actuel a la maîtrise de ses gangs. Si les gens sont kidnappés et massacrés, les femmes et les filles violées, c’est parce que les autorités le permettent. Tout est connu : les bandes armées ne nuisent ni au gouvernement en place ni à la communauté internationale. Certains analystes avancent même que ces bandits, responsables de graves violations des droits humains, constitueraient des armées privées au service du capitalisme financier. Car rien ne peut justifier que les États-Unis, le Canada et la France composent avec un régime illégal et corrompu. La partialité du Core Group à s’ériger en Cour constitutionnelle pour décider que Jovenel Moïse reste au pouvoir en 2022 n’est-elle pas une nouvelle preuve des préjugés des grands pays occidentaux ont toujours cultivés vis-à vis d’Haïti ?

Qu’est-ce qu’il y a lieu de comprendre dans la position de la communauté internationale ? Nous devons fixer les responsabilités sans complaisance et faux-fuyant.

À travers les ambassades occidentales en Haïti, maîtres du jeu politique dans ce pays, la communauté internationale a forcé les Haïtiens à approuver une politique inefficace et une « réforme » constitutionnelle douteuse. Ce faisant, ils fomentent une crise et des troubles pour suspendre le rêve du peuple haïtien de vivre dans une société haïtienne démocratique.

En dépit des déclarations de bonne intention ou de principe, les pays puissants réunis au sein du Core Group n’interviendront jamais pour faire cesser ces crimes d’horreur parce qu’ils jugent que les Haïtiens sont indignes d’une démocratie véritable. En accord avec la logique marchande, ils interféreront seulement si leurs intérêts commerciaux et économiques sont danger.

Haïti doit tout repenser y compris ses rapports avec la communauté internationale. Repenser Haïti, c’est d’abord mettre la communauté internationale à sa place, comme l’a souligné Daly Valet. Cela ne doit pas être une parole infertile. L’État lamentable d’Haïti est le résultat en partie des défaillances de nos élites locales. La responsabilité de ces dernières dans cette immense faillite ne suffit pour dédouaner la communauté internationale, de même que la domination brutale de l’International n’exonère pas non plus la responsabilité haïtienne. Toujours est-il que les puissances impérialistes ne reconnaissent pas aux Haïtiens le droit de se prononcer sur les affaires de leur pays : c’est en tout visible et même consacrée. Sinon, comment expliquer que les élites des églises protestantes et catholiques, les universités haïtiennes, les organisations des droits humains, les intellectuels, en un mot les forces vives de la nation qui se sont prononcées sur la fin du mandat de Jovenel Moïse ne sentent pas indignées devant l’arrogance de cette communauté internationale ?

Changeons de paradigme !
Au niveau local, Il faut être conscient de notre faiblesse à dire non et à nous opposer à l’inacceptable. Pour défendre l’intérêt national, il faut être en constante dignité. Car, l’indépendance signifie l’autogestion, accompagnée d’un droit d’initiative même limité. Ces rapports sont totalement inégaux. Et le développement d’Haïti passe par un changement de paradigme, c’est-à-dire que nous devons voir les États-Unis comme un partenaire et non comme un dominateur exclusif dont on accepte à la fois le secours et l’humiliation. Si nous voulons être une nation souveraine, nous devons nous assumer pleinement.

À travers l’histoire, les États-Unis nous ont piétinés mais on ne peut pas passer sous silence les défaillances, les vols, le pillage de nos ressources par nos propres dirigeants. Quand on demande la charité à quelqu’un, on ne peut lui imposer des règles.

Notre siècle caractérisé par l’interdépendance des nations est celui “du donner et du recevoir”, pour répéter Léopold Sedar Senghor. Nous devons mettre fin aux rapports qui ne sont profitables qu’aux États-Unis pour construire un partenariat gagnant gagnant. Mais pour réussir ce pari, nous devons  hisser à la tête de l’État des dirigeants éclairés, compétents et patriotes. Cela passe nécessairement par une reconversion des élites locales qui doivent être rééduquées sur de nouvelles bases et de nouveaux principes afin de pouvoir cerner un nouveau futur pour leurs populations dans cet ensemble global.

L’intrusion brutale des pays occidentaux dans les affaires haïtiennes pour imposer un mode de comportement voudrait-elle dire que les Haïtiens sont moins dignes pour vivre dans une société dominée par les règles de droit et les principes démocratiques ? C’est pourquoi il faut interroger et confronter les États-Unis à leurs propres valeurs et aux idéaux qu’ils prétendent défendre. Dans bien cas, les Américains ont montré que les intérêts commerciaux et économiques de leurs multinationales sont beaucoup plus importants que la défense de la démocratie, de l’État de droit et des libertés fondamentales. Placés au-dessus de tout, ces intérêts sont maintenus d’une administration à l’autre, ce qui explique que l’attitude de Joe Biden n’est pas différente de celle de Donald Trump. Dès lors, on se demande ce qui est advenu des principes démocratiques que les États-Unis disent vouloir promouvoir dans le monde et notamment sur le continent américain ?

Il y a cinq ans, j’ai soutenu dans mon projet de thèse de doctorat en droit que « la menace aujourd’hui  pour les États du Sud, ce ne sont pas les armées étrangères mais les investissements directs étrangers ». Dans la logique du marché, ils apparaissent comme une nouvelle forme de colonisation du territoire de l’État qui les accueille. Le contrôle du territoire passe par la maîtrise des questions juridiques. La rédaction d’une nouvelle Constitution décidée par le régime actuel  consacrant le totalitarisme, est conforme à la stratégie des impérialismes pour empêcher que les peuples accèdent à la liberté. Toute résistance à ce projet et au régime du PHTK pour le démasquer  ou le bannir est criminalisée.

En effet, le support implicite d’une majorité d’Haïtiens à « Fantòm 509 » qui tente d’imposer au pays ses vues dans le sens de ses propres intérêts sectoriels par la violence des armes est simple : dans toute lutte, dans toute révolte, il y a une forme de désespoir qui est le résultat d’un certain gâchis d’espérance. Le désespoir est silencieux et nourrit la haine. La violence de l’oppresseur justifie la réaction violente de l’opprimé. Ce n’est à l’oppresseur de dire à l’opprimé de quelle arme il doit se servir pour se libérer de l’oppression.

A-t-on déjà fait le décompte de la politique américaine en Haïti, soit directement, soit à travers des régimes antinationaux qu’ils ont placés à la direction d’Haïti? Je répète que l’anti-américanisme est stérile et contre-productif. Ce qui s’est passé dans l’histoire, on le sait et cela doit nous permettre d’organiser notre présent et futur. L’oubli est souvent pardon de soi, disait Piaget. Nous devons oublier certaines choses néfastes dans l’histoire de ces deux nations pour faire place à de bonnes. Pour cela, nous devons pacifier les mémoires et penser l’avenir avec pragmatisme afin de concevoir des stratégies pour contrer le système politique violent et provoquer des changements structurels en faveur de la démocratie économique et de la justice sociale.

Si on dénonce et demande la fin de la domination américaine, ce n’est pas pour en rechercher une autre, donc un autre refuge impérial. C’est précieusement parce que nous optons pour une autre perspective dans laquelle l’équilibre sera profitable qu’aux deux pays.

Le comportement de la communauté internationale ne fait qu’enfoncer davantage Haïti dans le chaos. Son soutien inconditionnel à Jovenel Moise qui considère l’État comme sa propriété est incompréhensible et révoltant. Le bon vouloir du Prince doit cesser d’être la norme dans une société qui a choisi de se gouverner sur la base des règles de l’État de droit. Défendons notre liberté, acquise et non donnée.

Me Sonet Saint-Louis
Professeur de droit constitutionnel à l’université d’État d’Haïti

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