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Le Marché commun des Caraïbes, ou Communauté des Caraïbes, réunit quinze pays et territoires associés : Antigua et Barbuda, Bahamas, Barbade, Belize, République dominicaine, Dominique, Grenade, Guyana, Haïti, Jamaïque, Montserrat, Saint-Christophe et Nievès, Saint-Vincent et les Grenadines, Suriname, Trinidad et Tobago. Il a pour objectif la création d’une zone caribéenne de libre échange, ainsi que la coordination des politiques dans le domaine des transports, du financement et du développement industriel et régional.

La CARICOM fut créée en 1973 par le Traité de Chaguaramas (entré en vigueur en 2002) en remplacement de l’Association de libre-échange caribéenne (CARIFTA, Caribbean Free Trade Association en anglais) qui a existé entre 1965 et 1972. Cette association avait elle-même été constituée pour renforcer l’alliance économique des pays anglophones de la Caraïbe en lieu et place de la Fédération des Indes occidentales (West Indies Federation) existant entre le 3 janvier 1958 et le 31 mai 1962.

Haïti a intégré la CARICOM en tant que membre provisionnel le 4 juillet 1998 pour ne devenir membre de plein droit que quatre ans plus tard en 2002. La participation d’Haïti a été suspendue le 29 février 2004, car la CARICOM a refusé de reconnaître le gouvernement intérimaire. Haïti a réintégré la CARICOM à la suite de l’élection de René Préval et la création de son nouveau gouvernement.

Lors du Sommet des Chefs d’Etat de la CARICOM qui s’est tenu à Montego Bay, à la Jamaïque, du 4 au 5 juillet 2018, les chefs d’État ont décidé unanimement que les ressortissants de la République d’Haïti ont droit à un séjour automatique de six mois à leur arrivée dans tous les Etats membres de la CARICOM. « Pas de visa requis, mais des fonds suffisants sont obligatoires », c’est ce qui est ressorti de ce Sommet .
Malheureusement, il est fort regrettable de constater que malgré cette décision adoptée par les Etats membres de la CARICOM, la plupart d’entre eux continuent d’exiger un visa aux ressortissants haïtiens. Cette restriction est-elle conforme aux dispositions du Traité de Chaguaramas? Comment l’Etat haïtien peut-il réagir face à cette situation ? A ces questions, nous allons tenter d’apporter des éléments de réponse.

1- L’affirmation du principe de la libre circulation
Les fondements juridiques de la libre circulation des nationaux de la Communauté se trouvent dans le Traité de Chaguaramas version révisée. Cette question est régie par les articles 45, 46 et 49 dudit traité.

En posant le principe de la libre circulation des personnes au sein de l’espace régional caribéen, les États membres souscrivent implicitement aux Conventions OIT n° 97 de 1949 et n° 143 de 1975 sur les règles fondamentales concernant le travailleur migrant.
L’observation des différentes étapes de l’institution du principe de libre circulation des personnes traduit la délicatesse de cette question qui au demeurant constitue l’un des points sensibles du marché unique.

L’article 45 dudit Traité pose le principe de la libre circulation des nationaux au sein de la Communauté, ce principe sera érigé au rang de droit et de liberté fondamentale par la Charte de la Société Civile de la CARICOM .
La possibilité pour ces nationaux d’obtenir un emploi dans n’importe quel État de la CARICOM sans permis de travail, s’inscrit comme une première étape dans l’objectif de libre circulation des personnes.

La question est posée dès 1989 à la déclaration de Grand-Anse , sept ans plus tard, la formulation du principe illustre les difficultés d’arriver à une conceptualisation unanime de cette liberté. En 1996, la Conférence des chefs de gouvernement s’accorde à dire: “that Member States should adopt a broad policy which would permit the general policy of the right of freedom of movement to CARICOM nationals as their circumstances permitted and as agreed by Heads of Government”.

En précisant “dès lors que les circonstances le permettent”, la Conférence tempère l’idée d’une liberté de circulation totale des personnes. Si l’article 45 du Traité de Chaguaramas révisé porte sur la liberté de circulation des nationaux de la Communauté, la disposition reste très vague. En effet, l’article dispose: “Member States commit themselves to the goal of free movement of their nationals within the Community”. Le principe du “comitment” induit le volontarisme de l’État membre mais n’est pas porteur d’une obligation juridique absolue. De plus, présenter la libre circulation des personnes comme un “but” à atteindre, renforce le caractère non contraignant de la disposition.

Dès lors il convient de constater que la libre circulation des personnes dans la zone des Caraïbes est fortement conditionnée, car elle est réservée à “des catégories” bien précises de travailleurs. En effet, l’article 46 identifie clairement les nationaux pouvant requérir un emploi dans les juridictions des États membres de la CARICOM. Il s’agit des licenciés de l’Université, des professionnels de la communication, des sportifs, des artistes et des musiciens.

Les États membres afin de faciliter la mise en œuvre de cette liberté ont établi un modèle d’harmonisation, le Caribbean Community Skilled Act , qui a pour objet de conférer aux différentes législations nationales un caractère identique en la matière. Cependant une lecture plus approfondie du modèle d’harmonisation relève les limites inhérentes à la libre circulation des travailleurs migrants.

L’acte d’harmonisation établit une liste peu exhaustive des qualifications ouvertes à certification. Il s’agit en règle générale des ressortissants CARICOM disposant au moins d’une licence obtenue à l’Université des West-Indies, à celle du Guyana et à celle de Suriname ou de tout diplôme obtenu dans une université étrangère et répondant à la liste de qualification établie par le Secrétariat général.

La seconde limite tient en l’obtention de l’État d’accueil du ressortissant CARICOM, un certificat de reconnaissance du diplôme pour tout séjour excédant six mois. Cette disposition discriminante fait perdre au modèle d’harmonisation l’essentiel de sa substance, voir de son intérêt juridique, si la libre entrée au sein de l’État d’accueil est laissée à la libre discrétion de celui-ci.

A cette fin, les États membres doivent prendre toutes les mesures législatives, administratives, ainsi que tous les arrangements procéduraux nécessaires facilitant la circulation des compétences au sein de la Communauté. Toutefois, ces mesures et arrangements sont indifféremment adoptés par les États selon qu’il s’agira des licenciés de l’Université ou des autres catégories socioprofessionnelles visées.

2- La libre circulation au sein de la CARICOM : situation d’Haïti
Au 39ème sommet de la CARICOM qui a eu lieu les 4 et 5 juillet à la Jamaïque, les chefs et représentants d’Etats ont voté pour accorder aux citoyens haïtiens le droit à la libre circulation dans les Etats membres de l’organisation.
En outre, les voyageurs haïtiens ont droit à un séjour automatique de six (6) mois à partir de leur arrivée au sein de tout pays membre de la CARICOM.
Toutefois, conformément au Traité révisé de Chaguaramas et le droit communautaire des Caraïbes, les ressortissants qui voyagent dans d’autres Etats membres doivent disposer de ressources financières suffisantes pour eux-mêmes.
Dans un arrêté daté du 21 juin 2021et dans une lettre datée du 23 juin adressée au ministre de l’Aviation, Juan Edghill, procureur général et ministre des Affaires juridiques, Anil Nandlall , ont décidé que seuls les diplomates haïtiens n’ont pas besoin de visa pour entrer en Guyane.

En 2019, la Barbade a adopté cette même décision à l’encontre des Haïtiens. Elle a décidé de suspendre provisoirement l’entrée sans visa pour les Haïtiens. Au journal ‘’Barbados Today’’, la Première Ministre Mia Mottley a fait savoir que son administration se trouve dans l’obligation de garder la restriction en raison des troubles politiques en cours en Haïti et le flux des Haïtiens qui se dirigent vers son territoire.

La décision favorisant l’entrée sans visa des Haïtiens sur le territoire des pays membres de la CARICOM était une victoire de courte durée puisque tous les Chefs d’Etat de la CARICOM ne semblent pas de cet avis.
Haïti est membre de la CARICOM et le Traité de Chaguaramas requiert la non-discrimination et le traitement équitable des personnes, on ne devrait pas exiger des visas aux Haïtiens. Cette politique est valable non seulement en Haïti, mais dans toute la Communauté des Caraïbes puisqu’il s’agit d’une disposition légale stipulée par le Traité révisé de Chaguaramas formant partie intégrante du droit communautaire de la Caraïbe.

Ce principe général du droit communautaire ne s’applique pas seulement aux Haïtiens mais aussi aux ressortissants de tous les Etats de la CARICOM qui peuvent se rendre dans d’autres Etats membres sans visa .
Si dans la théorie il n’y a aucune restriction, dans la pratique, Haïti est loin de bénéficier de tous les avantages de la communauté caribéenne. L’adoption du passeport ‘’Communauté Caribéenne’’ par l’Etat haïtien en vue de faire suite au processus d’intégration des citoyens du pays dans la libre circulation des personnes qualifiées à travers les pays caribéens sans un visa préalable est sans succès puisque des pays de la CARICOM interdisent aux Haïtiens l’entrée sur leur territoire sans visa.
Cette mesure discriminatoire adoptée par certains Etats membres de la CARICOM est due aux troubles politiques, à l’insécurité et à la situation économique du pays poussant les Haïtiens à migrer vers d’autres pays notamment vers ceux de la région.

Néanmoins, un citoyen haïtien qui se sent lésé par ces mesures discriminatoires peut solliciter l’assistance du Ministère des Affaires Etrangères afin de porter plaine pour discrimination par devant la Cour Caribéenne de Justice (CCJ).
En ce sens, on peut se référer à l’affaire impliquant Shannique MYRIE, citoyenne de la Jamaïque, contre l’Etat de la Barbade. A ce sujet, le 14 mars 2011, elle a débarqué à l’Aéroport Grantley Adams de la Barbade et s’est vue refusée l’entrée dans ce pays. Elle a été incarcérée dans une cellule de cet aéroport et déportée le lendemain vers la Jamaïque. Suite à cette mésaventure, elle a intenté une action par devant la CCJ. Elle a surtout évoqué le sérieux préjudice causé à son droit de circuler librement dans l’espace CARICOM/CSME en tant que ressortissante de la Jamaïque, conformément aux dispositions de l’Article 45 du Traité de Chaguaramas Révisé et à une décision adoptée par les Chefs d’Etat et de Gouvernement lors de leur 28ème Session tenue en 2007. Elle a aussi soutenu que la Barbade a porté atteinte à son droit reconnu par les Articles 7 et 8 du Traité Révisé concernant la discrimination liée à la nationalité et au traitement à accorder aux nationaux des autres Etats Membres or de pays tiers qui doit être non moins favorable . Bien que la Barbade ait rejeté ces accusations, la CCJ a condamné ce pays à verser des dommages-intérêts à cette jeune personne.
Cependant, il est important de rappeler qu’Haïti fait partie des trois Etats de la CARICOM qui n’ont pas encore ratifié l’Accord du 14 février 2001 créant la Cour Caribéenne de Justice lors de la Conférence de Nassau, à l’instar des Bahamas et de Montserrat.

L’autre préoccupation c’est que contrairement aux autres Etats membres de la CARICOM qui appliquent le droit anglo-saxon, c’est-à-dire la Common Law laquelle accorde une place importante à la jurisprudence, et non à la loi, en Haïti c’est le système de la famille romano-germanique qui est en vigueur. Se pose automatiquement le cas de la jonction à établir entre ces deux types de système juridique.

Puisque la CCJ est la seule juridiction reconnue et établie par la CARICOM pour les questions relatives aux différends commerciaux et à l’application du Traité révisé pouvant intervenir entre Haïti et les autres Etats membres, Haïti peut s’inspirer du Surinam, qui applique également le système romano-germanique, pour savoir comment résoudre ce problème.

De surcroît, la diplomatie haïtienne devrait être efficace dans la région.
Sur instructions du Ministre des Affaires Étrangères, un plaidoyer devrait être engagé par les diplomates haïtiens qui sont affectés dans les différents pays membres de la CARICOM en vue d’une application plus efficace des dispositions du Traité de Chaguaramas portant sur la libre circulation des personnes dans la région.

Sur la scène du monde actuel, divers autres facteurs plaident en faveur d’une tendance générale vers une collaboration plus étroite entre les nations et l’harmonisation de leurs intérêts. Plus les efforts politiques travaillent dans ce sens, plus la diplomatie, qui est essentiellement un mécanisme destiné à concilier les intérêts opposés des nations grâce à des méthodes de négociation pacifique, trouve l’occasion de s’exercer.

Steve GUSTAVE,
Avocat au Barreau de Port-au-Prince.-
Fonctionnaire du Ministère des Affaires Etrangères.

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