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Suite au refus des pays occidentaux, engagés dans une guerre précieuse et coûteuse en Ukraine, de répondre à notre demande d’aide militaire, les autorités haïtiennes ont découvert subitement l’armée nationale remobilisée par le Président Jovenel Moïse. Une armée “peau patate”, c’est en ces termes dégradants que les opposants du Chef de l’État défunt avaient qualifié cette nouvelle structure militaire. Ce fut pourtant une décision pleine de bon sens et même héroïque, vu les circonstances dans lesquelles elle avait été prise. Aucun soutien politique interne ne lui avait accordé à un moment où ce corps en avait terriblement besoin face à l’hostilité des grandes puissances qui avaient, en 1994, occasionné sa dissolution.

Notre armée n’était pas moins saine que celles qu’on a connues en Amérique Latine. Malgré les violations des droits humains dont elles étaient coupables, les dirigeants des pays de ce continent ne les avaient pas détruites : ils les ont au contraire transformées et mises au service de la démocratie. Notre armée a été abolie un moment où elle avait besoin d’être rééduquée et modernisée.

La médiocrité du personnel politique haïtien nous a conduits dans la voie du désordre généralisé. La nation paie les conséquences politiques de cet acte irréfléchi étroitement lié aux politiques globales décidées par les grandes puissances. La politique coloniale est l’ancêtre de la globalisation. La globalisation économique n’est pas synonyme de paix, comme on l’avait cru. Aujourd’hui, le monde se réarme. Des guerres froides se dessinent. Les démocraties s’arment tout comme les régimes dits autoritaires. Dans tous les cas, l’armée est une réalité incontournable. Pourquoi donc s’opposer au président Jovenel Moïse sur une action d’importance comme celle de la remobilisation des forces armées? Une opposition et un pouvoir doivent avoir des sujets d’opposition mais aussi de ralliement et de consensus.

Il n’y a pas longtemps, l’ambassadeur français accrédité en Haïti avait nié l’existence d’une armée haïtienne. Aujourd’hui, c’est ce même diplomate qui demande aux autorités haïtiennes de combattre l’insécurité avec les forces dont elles disposent. Qu’est-ce qui explique ce revirement spectaculaire? Chacun a ses défis. Les européens se réarment pour contrer les visées hégémoniques de la Russie. Haïti doit réveiller son armée pour répondre à ses propres défis. La République dominicaine avec laquelle Haïti partage l’île monte en puissance et ses groupes armés qui mettent chaque jour la Police nationale en échec. On ne peut pas constamment faire des demandes de type militaire pour résoudre de nos problèmes de sécurité interne.

À l’instigation de Washington, dit-on, les autorités en place avaient sollicité l’intervention d’une force internationale pour aider les agents locaux à lutter efficacement contre la violence des gangs. L’administration américaine ne répond pas à cette sollicitation mais se contente d’offrir à quelques centaines d’Haitiens la possibilité d’immigrer aux États-Unis. Au point de se demander, comme l’ancien Premier ministre et homme d’État haïtien, M Robert Malval, si la stratégie à l’œuvre n’est pas purement et simplement la décomposition de la première république nègre qui a étonné le monde il y a plus de deux siècles. En tout cas, on nous a roulés dans la farine. La défense de la dignité doit être constante.

Où sont nos valeurs ?
Haïti vit une situation exceptionnelle. Mais où sont passés les génies de la race? Notre pays a-t-il cessé de produire de grands hommes ? S’il en existe, pourquoi ils ne se pointent pas? Ce n’est pas Biden qui engloutit Haïti, c’est précisément notre choix de la médiocrité qui nous a conduits à cette impasse.
Le pays se trouve à la croisée des chemins et nous devons agir vite. Mais que faisons-nous? Une élite est plantée chez elle au lieu de régler les problèmes de son peuple. Certains d’entre elle laissent Haïti en ses moments de détresse. C’est l’irresponsabilité pure. C’est pareil à un général qui abandonne son soldat blessé sur le champ de bataille. Il faut du risque pour sauver l’héritage sacré que nos ancêtres nous ont laissé.

Après deux siècles d’indépendance, les élites haïtiennes n’ont pas le droit de faire preuve d’immaturité. Nous avons trop d’enseignements de l’histoire. Quelque que soit le lieu où vous êtes, Haïti vous marquera toujours. Je le répète, une élite digne est toujours chez elle pour régler les problèmes de son peuple. La cité n’est pas ailleurs. Elle est avec nous, au milieu de nous.

On accepte la déportation en fixant notre famille dans les pays à l’origine de nos malheurs. On laisse les misérables et les analphabètes sur le terrain de combat pour changer le pays pour nous. Si c’est cela la stratégie, celle de la survie individuelle, le pays ne changera pas. La fuite ne résout pas le problème. Cette élite, super civilisée au regard des normes occidentales, qui devrait en principe constituer une muraille de protection pour son peuple, encore ancré encore dans la culture traditionnelle, a malheureusement piteusement échoué.

Face au lâchage de la communauté internationale, nous n’avons d’autre choix de compter sur ce que nous avons – l’armée et la police – pour mettre un terme à cette anarchie sanglante qui risque de tout emporter. Mais avant tout, il nous faut rebattre les cartes, cela veut dire de former une nouvelle équipe gouvernementale composée de patriotes, d’hommes et de femmes intègres et compétents capables de redresser la situation.

Le HCT doit s’élargir
Ces citoyens existent! Il y a des gens dans ce pays qui ont leur avenir derrière eux, qui ne cherchent ni l’argent ni du pouvoir. C’est le cas de Robert Malval, de l’historienne Suzy Castor. Pourquoi ne pas leur demander de rejoindre le Haut conseil de transition dirigé par la professeure de droit constitutionnel, Dr Mirlande Manigat ? Ou encore élargir cette instance aux non signataires de l’accord du 21 décembre 2022, de manière à rendre le consensus plus large ? À condition qu’ils acceptent eux-mêmes de renoncer à leur prétention hégémonique en cessant de croire que la solution que nous cherchons à la crise ne peut venir que de leur seule sphère. Un exécutif bicéphale, c’est que prévoit la Constitution de 1987.

Mais comment mettre en place un président sans le suffrage universel (art 134 de la const.) un Premier ministre en dehors de ce que prescrivent les articles 137 et 158 de la Constitution ? Par quel mécanisme constitutionnel allons-nous faire fonctionner un chef de gouvernement sans l’institution de contrôle qu’est le parlement? Comment mettre en place une instance qui n’a pas les prérogatives du parlement? Quelle relation entretiendra-t-elle avec la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (voir les articles 129-2, 223, 233, 186 et suivants de la const) ?

Contrairement à ce que croient les signataires de l’Accord de Montana, il est donc impossible de rétablir l’ordre républicain démocratique en dehors de la volonté populaire qui doit être exprimée par le vote. Mettre en place un tel pouvoir, c’est exclure le peuple du débat politique. La transition ne peut pas être permanente. Quand elle se renouvelle, elle devient échec à la démocratie. L’élection ne résout tout mais elle permet en démocratie au peuple de choisir ceux qui doivent le gouverner. “Gouvernance inclusive” ou “transition de rupture” est une façon malveillante de gouverner sans le peuple. Transition et État de droit ne marchent pas ensemble. La transition est un état d’impunité, ce n’est pas une voie qu’un démocrate doit emprunter.

L’Accord du 21 décembre 2022 et celui de Montana sont deux efforts qui doivent se joindre pour paver la voie à un retour à la normalisation de la vie démocratique du pays. Il revient donc à la présidente du Haut conseil de transition d’aller à la rencontre des autres. Pêcher ces Haïtiens prêts à donner leur pleine mesure à la nation. La politique du bannissement et de l’exclusion dont nous avons fait l’expérience dans le passé ne marche pas. Le peuple souffrant n’a que faire de ceux qui sont incapables d’accéder à la modernité démocratique axée sur le dialogue permanent pour résoudre les conflits de la société. Notre cadre de référence, c’est la démocratie représentative, libérale, les recettes marxistes-léninistes et totalitaires qui marcheront pas, pas plus que la substitution de l’hégémonie américaine à celle de la Chine ou de la Russie.

Cette crise exige qu’on fasse le plein des compétences. Celles-ci sont partout et dans tous les secteurs, en Haïti comme dans la diaspora. Nous devons trouver dans les réserves de la république des voix fortes et respectueuses capables de mettre tout le monde ensemble.

Cette possibilité existe. Je l’ai maintes fois souligné qu’il n’y a pas de solution constitutionnelle à la crise. Le droit n’y est pas. Il nous faut inventer une solution qui mettra tout le monde d’accord. Cela s’appelle le « consensus ». On ne l’obtiendra que si nous acceptons de dialoguer sans l’idée de l’exclusion et du bannissement de l’autre car tous ont péché contre la nation. La chambre du pardon doit être ouverte à tous. “La haine n’est pas constructive”, disait José Marti. Pardonner est une belle victoire de guerre et un homme politique sage ne doit pas fermer la porte au pardon et au dialogue.

Face à une crise exceptionnelle, il faut des gens exceptionnels qui soient en mesure de prendre la direction des affaires chez nous. Ce n’est pas l’heure des rachitiques et des rabougris qui ne cherchent que la satisfaction des besoins primaires. Le temps n’est pas à la capture de l’État pour jouir les privilèges qu’il en procure mais aux sacrifices pour un pays qui atteint le profond de l’abîme. Des jobs, il y a pour tout le monde. Si on arrive à organiser le pays, il y en aura encore plus. La bataille à gagner est celle de la création d’emplois, de la croissance, du développement économique. Nous devons passer de la démocratie de la crasse à celle du bonheur vivrier. Sans les vertus, la prospérité, la réduction des inégalités, il n’y aura ni de paix ni de stabilité politique. L’échec du principe de l’égalité des citoyens devant la loi et de notre système de défense sociale nous ont conduits aux atrocités que nous vivons actuellement et qui choquent la conscience universelle.

Comptons sur nous-mêmes !
À l’heure actuelle, avec l’hémorragie de la matière grise haïtienne provoquée par les crises interminables, l’administration publique est ruinée par les destructeurs d’Haïti de tous bords. Ces acteurs du chaos doivent enfin comprendre qu’ils ont vidé la République de tous ses cadres qualifiés et qu’ils doivent s’écarter ou se rééduquer sur de nouvelles bases de manière à s’insérer dans la société moderne dont nous rêvons tous.

Face au réflexe de fuite qu’on observe ces temps-ci, le temps des vertueuses actions doit être initié par ceux qui gardent encore l’âme du pays pour contrer les actions tristes et ténébreuses qui nous ont fait tant de tort.

Il faut l’avouer, la réticence de la communauté à nous livrer des équipements nécessaires pour l’Armée et la Police est due au fait que ce sont nos hommes politiques et ceux du milieu des affaires qui arment les gangs. On le savait déjà mais les sanctions internationales décidées par les maîtres du monde contre les anciens responsables de l’État d’Haïti pour leur implication supposée dans la commission de crimes liés aux violences contre les droits humains en disent long. Sont-ils réellement coupables? Le pays attend encore la vérité.

Ce qui est sûr, c’est qu’il faut un gouvernement présentant un autre profil, qui n’a pas de connexions mafieuses.

À quoi sert le pouvoir s’il ne peut ni servir et protéger ? Dans le contexte actuel, dans cette lutte contre l’insécurité, les ministres de la Justice, de l’Intérieur et la Défense nationale doivent être à la fois rassurants et prêts à faire un sacrifice pour entrer dans l’histoire de manière triomphale, quitte même à devoir faire face aux interrogations de la Cour pénale internationale.

Le Premier ministre Ariel Henry doit comprendre que l’heure n’est pas au tâtonnement avec une équipe qui ne marche pas et qui attend un secours qui ne viendra pas. Car sans le rétablissement de l’ordre, il sera impossible d’avoir une Assemblée constituante, d’organiser un referendum constitutionnel, voire des élections, en 2024. Nous devons admettre pour l’instant qu’Haïti n’est pas dans l’agenda de l’International. Nous devons compter sur nous-mêmes face l’isolement, au refus de tous de nous aider dans notre situation actuelle de détresse inédite. Le destin d’Haïti sera donc ce que nous voulons qu’il soit, mais à condition de trouver le moyen de se mettre ensemble pour faire face à l’adversité.

Sonet Saint-Louis, av.
Professeur de droit constitutionnel et de méthodologie de la recherche juridique à la faculté de droit, de l’Université d’État d’Haïti.
Sonet.saintlouis@gmail.com

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