Affaire « Eddy One » : Avis utile pour la cour d’Appel de Port-au-Prince
1 – La mise en liberté sur demande
Ce privilège est institué dans les procédures pénales haïtienne et française dans le but de mettre fin à la détention provisoire avant son expiration.Il convient de rappeler que la détention provisoire est à durée illimitée dans la législation haïtienne. Il se peut que le temps passé en détention apparaît excessif et que la mise en liberté de l’inculpé n’entraverait pas l’efficacité du procès ni représenterait une menace pour l’ordre public.
En pareil cas, le législateur haïtien instaure des prérogatives à l’autorité judiciaire de mettre fin à la détention de l’intéressé de façon anticipée. Il s’agit donc de la mainlevée et de la liberté provisoire.
a – La mainlevée
En principe, la personne mise en cause partage concurremment la qualité de déclencher la procédure de mainlevée. Car autant l’inculpé est le véritable intéressé en matière de liberté, autant le domaine de sanction pénale, autrement dit la peine, est réservé au parquet. De ce fait, le parquet peut juger non convenable l’enfermement d’un individu au stade préparatoire du procès pénal. D’ailleurs, la mise en mouvement de l’action publique est tirée de l’appréciation souveraine du ministère public (Articles 13, 37 et 48 du Code d’instruction criminelle (CIC) laissent la prérogative au ministère public de requérir la poursuite pénale, étant précisé que l’article 48 institue, par l’expression « fera les réquisitions qu’il juge convenables », le principe de l’opportunité des poursuites, en ce que le parquet peut légitimement adopter le « réquisitoire de non-informer ».
Mais, le législateur haïtien semble exclure le commissaire du Gouvernement comme demandeur. En effet, l’alinéa 3 de l’article 80 du CIC prévoit qu’« au stade d’instruction, le juge d’instruction peut , « sur les conclusions » du commissaire du Gouvernement, et quelle que soit la nature de l’inculpation, donner mainlevée du mandat de dépôt ou d’arrêt … ».
À la lumière de l’article 80 du CIC, il est illogique de penser que le ministère public puisse être demandeur de ce privilège procédural, puisque ses conclusions sont exigées dans l’appréciation de la demande. Même s’il n’est pas clairement explicité, il est évident que c’est à l’inculpé qu’a songé le législateur en instituant cet article. Pour cette raison, dans la pratique judiciaire, c’est la personne mise en cause qui sollicite du juge d’instruction la mise en liberté dans le but de mettre fin de façon anticipée à sa détention provisoire.
Néanmoins, des critiques peuvent s’élever contre la rédaction de l’article 80 du CIC, en ce qu’il semble être contradictoire avec les dispositions de la loi du 29 juillet 1979 sur l’appel pénal. Alors que cet article exclut l’exercice de recours contre l’ordonnance de mainlevée, l’article 13 de la loi de 1979 susmentionnée précise que « lorsqu’il est interjeté appel d’une ordonnance « autre qu’une ordonnance de clôture », le juge d’instruction poursuit son information, sauf décision contraire de la cour d’Appel ». La lecture de cette disposition législative amène à s’interroger sur l’acception de l’expression « autre qu’une ordonnance de clôture ».
De fait, comme il a été relevé précédemment, cette expression confirme que toutes les décisions adoptées par le juge d’instruction sont des actes juridictionnels rendus par la voie d’ordonnances. En pareil cas, il importe de concéder que diverses ordonnances peuvent être assorties de l’information judiciaire, dont l’ordonnance en mainlevée, l’ordonnance de placement en détention provisoire par l’entremise de mandat de dépôt.
D’autant que le législateur de 1979 prévoit l’ordonnance de placement en détention provisoire à l’alinéa 2 de l’article 10, en ce qu’il affirme que « Toutefois, son appel ne peut en aucun cas porter sur « une ordonnance relative à la détention de l’inculpé ». Il convient de rappeler au passage que le mandat de dépôt s’analyse comme le titre de détention. Alors, il s’évidente que, outre l’ordonnance de clôture, plusieurs ordonnances sont susceptibles d’être rendues dans le cadre de l’information judiciaire ».
Donc, l’on est confronté à deux dispositions législatives contradictoires : d’un côté, l’article 80 du CIC ne permet pas de relever appel de l’ordonnance de mainlevée, et l’article 13 de la loi de 1979 autorise l’exercice de cet appel. Dès lors, le croisement de ces deux dispositions législatives révèle un risque de contrariété à l’effectivité de la justice pénale. Le contraste de ces deux textes est si important qu’il impacterait l’efficacité du procès pénal.
En revanche, il convient de relever que l’article 80 du CIC s’approprie le courant libéral de la répression pénal du fait qu’il institue une garantie à la liberté de la personne mise en cause après l’obtention de sa liberté provisoire. Dans ce cadre, le législateur s’aligne sur le principe du libéralisme pénal préconisé par la justice pénale moderne au stade préparatoire du procès pénal (article 7.1 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme).En tout état de cause, le croisement de ces deux dispositions appelle à trois observations divergentes.
D’abord, le législateur établit inutilement une différence entre la mainlevée et la liberté provisoire, en tant qu’il ne prend pas en compte la gravité de l’infraction dans le cadre de la liberté provisoire, ce qu’il exclut en matière de mainlevée. Or, la mainlevée n’est autre qu’une méthode de liberté provisoire qui n’est applicable qu’au stade d’instruction, alors que la liberté provisoire s’étend à la procédure de comparution immédiate.
Ensuite, les refusés de l’article 13 pourraient porter le débat sur le terrain de l’équité, en ce sens que le parquet, en tant que partie à part entière dans la phase préparatoire du procès pénal, devrait disposer de droit de contester une décision provisoire du juge d’instruction. Mais, le lecteur est invité à se reporter un peu plus loin sur le développement relatif à l’équilibre des parties dans cette étude pour appréhender cette question.
Enfin, les affirmés de l’article 80 du CIC pourraient de leur côté évoquer l’article 8 de la loi de 1979 pour écarter l’idée de contradiction entre les articles 80 du CIC et 13 de la loi du 29 juillet 1979 sur l’appel pénal concernant la question d’appel que l’on peut relever de l’ordonnance de mainlevée. Car l’article 8 de la loi précitée précise que « toutes les « ordonnances définitives » du juge d’instruction sont susceptibles d’appel dans les formes et conditions ci-après ». À cet effet, il importe de savoir ce que le législateur entend par « ordonnances définitives ». Pour rappel, il convient de préciser que le sort de l’information judiciaire se manifeste par une ordonnance de règlement ou de clôture, qui peut varier en une ordonnance de renvoi (criminelle ou correctionnelle) lorsqu’il y a des charges retenues à l’encontre de l’inculpé ou une ordonnance de non-lieu lorsqu’aucune charge n’est retenue à l’encontre de l’intéressé.
En aucun cas, l’on ne saurait concevoir une ordonnance de mainlevée comme une ordonnance définitive, puisqu’à ce stade le juge dispose du pouvoir d’appréciation dans l’affaire, comme par exemple sa prérogative de réincarcérer l’inculpé ou conclure à son renvoi à la fin de son information. Or, une ordonnance définitive suppose l’incompétence du juge d’instruction dans le cadre d’une affaire qu’il a déjà instruite.
De ce fait, l’article 8 est contradictoire aux articles 10 et 13 de la loi de 1979, en tant qu’il laisserait l’impression que l’ordonnance de placement en détention provisoire et toutes les ordonnances prévues aux deux derniers articles, autre que l’ordonnance de clôture (définitive), revêtirait le caractère définitif. Dans ce cadre, il est évident que la rédaction de la loi du 29 juillet 1979 sur l’appel pénal est lacunaire sous divers angles, dont la contrariété judiciaire qu’elle risque de provoquer à l’effectivité de la justice pénale.
Pour cela, il est nécessaire que le législateur haïtien s’efforce de comprendre ce dilemme important afin d’amender la lacune de son prédécesseur de 1979 et permettre une meilleure appréhension de la répercussion de l’infraction dans la société. Car le droit pénal est une discipline de résultat.
b – La liberté provisoire
De la même façon que la mainlevée, l’intéressé peut solliciter la liberté provisoire au regard de la loi du 6 mai 1927 sur la comparution immédiate et des articles 95 et 96 du CIC. En effet, la stratégie de la liberté provisoire est une libération conditionnelle autorisée lorsque l’individu manifeste sa bonne foi pour la poursuite du processus judiciaire. Pour ce faire, le contrat conclu entre le magistrat judiciaire et la personne mise en cause emporterait des obligations. D’un côté, l’individu devrait garantir sa réprésentation en justice par son patrimoine ou sa solvabilité financière, et le magistrat devrait disposer des informations suffisantes sur l’intéressé pour s’assurer bien évidemment de sa représentation en justice, d’un autre côté.
Toutefois, le législateur restreint le bénéfice de ce privilège à certaines infractions. En effet, l’article 95 précise que « la liberté provisoire ne sera jamais accordée au prévenu lorsque le titre d’accusation emportera une pine afflictive ou infamante ou lorsqu’il s’agira d’une inculpation de vol ou d’escroquerie ». En clair, la liberté provisoire est exclue dans le domaine criminel et pour deux infractions de nature correctionnelle. Cette exclusion appelle deux précisions. D’une part, il apparaît que le législateur ait craint de créer une doublure à la mainlevée en permettant la liberté provisoire en matière criminelle.
D’autre part, même s’il n’a pas précisé le motif de l’exclusion de la liberté provisoire du chef de vol et d’escroquerie, il semblerait que leur exclusion dans la mise en liberté anticipée se fonde sur leur gravité. En revanche, le législateur ne fixe pas un seuil d’infractions ouvrant droit à l’obtention de la liberté provisoire en matière de comparution immédiate, qui peut ainsi être accordée sans caution (L’article 4 de la loi du 6 mai 1927 sur la comparution immédiate précise que « Si l’inculpé le demande, le tribunal lui accorde, pour préparer sa défense, un délai qui n’excèdera pas quinze jours. Dans tous les cas où le tribunal croit devoir renvoyer l’affaire à l’une des plus prochaines audiences, il pourra, le ministère public entendu, mettre l’inculpé provisoirement en liberté avec ou sans caution ».
En définitive , à l’opposition de la liberté provisoire, la mainlevée constitue une limite à la durée illimitée de la détention provisoire dans la législation haïtienne. Cette même possibilité est admise dans la procédure pénale française. Cependant, à la différence de son homologue haïtien, le législateur français indique clairement les demandeurs de ce privilège. Aux termes des articles 147 et 148 du Code de procédure pénale, le procureur de la République et la personne mise en examen peuvent solliciter à tout moment la fin de la détention provisoire.
À vrai dire, par souci d’intérêt, la demande émane le plus souvent de la personne incarcérée. À cet égard, soit le procureur de la République demande la mise en liberté de la personne mise en cause, à charge pour cette dernière de « prendre l’engagement de se représenter à tous les stades de la procédure et de tenir informé le magistrat de tous ses déplacements » (Art. 147 du Code de procédure pénale : CPP), soit la demande est formulée directement par l’intéressé lui-même (Art. 148, CPP ) avec les mêmes obligations prévues à l’article 147 précité.
Me Guerby BLAISE
Avocat et Enseignant-chercheur en Droit pénal et Procédure pénale
Centre de droit pénal et de criminologie
École doctorale de Paris Nanterre
Extrait de la thèse : « Les mesures privatives de liberté dans la phase préparatoire du procès pénal : Comparaison : France – Haïti » en cours de préparation par Guerby BLAISE à l’École Doctorale de l’Université Paris Nanterre.