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Je viens de prendre connaissance d’une lettre du Chef du Parquet de Petit-Goave invitant le député Jean Danton Léger à se présenter devant lui au Parquet de cette juridiction, le vendredi 4 juin 2021 « sur plainte de la société ». La raison de cette convocation a rapport avec les déclarations que celui-ci a faites à travers une vidéo tournée en boucle sur les réseaux sociaux par laquelle il menaçait de recourir à des armes pour empêcher la réalisation du référendum présidentiel illégal.

Réagissant à cette plainte, Me Guerby Blaise, expert en droit pénal, a déclaré ceci : « Je suis contre la violence mais c’est une folie de prétendre poursuivre Danton Léger pour la seule détention d’armes blanches en raison de l’absence d’élément matériel. Ses déclarations ne constituent pas de menaces puisqu’elles ne visent pas une personne bien déterminée. »

Sans être en désaccord avec Dr. Blaise, pour moi la question n’est pas pénale mais constitutionnelle. Pour comprendre les actions posées par Me Dantor Léger et toutes celles qui seront produites ultérieurement dans le cadre de la défense de la Constitution mise à mal par le régime en place, nous devons savoir à qui appartiennent l’État et la Constitution qui lui donne sa forme.

Les gouvernants ne sont pas les propriétaires de l’État et de la Constitution. Ils ne sont pas non plus propriétaires du pouvoir mais l’assument par délégation. Pour cela, ils doivent respecter la Constitution et les lois fixant leurs attributions.

La Constitution de 1987 appartient au peuple haïtien pour l’avoir écrite par procuration et proclamée. L’État, la Constitution de même que les institutions que celle-ci crée, appartiennent au peuple. Ce dernier a l’obligation de les défendre par n’importe quel moyen, y compris le recours à la lutte armée. Défendre la Constitution au termes de l’article 52 est une obligation constitutionnelle de tous les citoyens.

Ce n’est pas Me Danton Léger qui est en infraction à la loi, même s’il menace d’utiliser son arme contre ceux qui veulent abolir la loi du souverain. Il est établi que dans notre système de gouvernement, les décisions des gouvernants doivent être prises au nom de l’État. Celles-ci doivent être conformes à la Constitution.

Si Me Léger est obligé de monter la garde en constatant que son pays s’avance vers la catastrophe, c’est parce que les institutions garantes de la constitution – le Parlement et la Cour de cassation – ont failli à leur mission. Hormis les sénateurs Patrice Dumont et Joseph Lambert qui ont défendu le principe du respect de la Constitution et de sa procédure d’amendement, les autres par leur grande complaisance se sont rendus complices et coupables de crime de haute trahison contre la la Loi-mère. La Cour de cassation qui est l’organe régulateur des activités des pouvoirs publics établi par la Constitution, a aussi manqué à son devoir. Étant donné que le Conseil constitutionnel prévu par les amendements de 2011 n’a jamais été mis en place, il revient à la Cour de cassation d’assurer la suprématie de la Constitution et la règle de droit. En tant qu’instance judiciaire suprême, cette Cour doit répondre à la nécessité de faire respecter les normes constitutionnelles, de sanctionner toute violation de l’ordre constitutionnel, et ce, même à l’encontre de la volonté exprimée par l’État.

S’accaparant d’un pouvoir qui appartient au peuple, le Président de facto Jovenel Moïse se substitue au souverain. En confiant à un Comité la mission de rédiger une Constitution pour régler ses affaires personnelles et en créant un Conseil électoral pour implémenter son action, il a anéanti les fondements constitutionnels et idéologiques de l’État. On est en face d’un système étatique autoritaire.

Le Président de la République n’est pas investi d’un pouvoir divin. Donc Jovenel Moïse et ses complices seront amenés à répondre de leurs manquements à leurs devoirs vis-à-vis du peuple haïtien. Il est bon de rappeler aux gouvernants actuels, qu’ils soient président de la République, ministres, parlementaires, juges de la Cour de cassation que les actes de violation de la Constitution puissent être sanctionnés. Les membres du CCI, du CEP ainsi que ceux du haut d’État-major de la police doivent aussi se garder de toute participation à une action visant à anéantir l’ordre constitutionnel établi.

De même qu’il est de mon devoir de rappeler aux hommes et aux femmes d’affaires, aux secteurs de la presse etc. qu’ils ne doivent pas collaborer avec les auteurs d’un acte illicite ni en tirer profit. Toute promotion en faveur d’un acte qui viole une quelconque disposition constitutionnelle est interdite et en conséquence punissable. Toute presse, toute entreprise qui, dans un sens ou dans un autre, aurait sous prétexte de publicité, de vente de services matériels ou intellectuels, un agissement contraire, commettrait une infraction contre l’ordre constitutionnel établi. Nous sommes dans une société de droit dans laquelle les gouvernants et les gouvernés ont l’obligation de se soumettre à la règle de droit. Les entreprises ont la responsabilité de produire des biens et ses services et réaliser des profits dans un cadre licite. Elles ne peuvent pas oublier ou négliger leurs responsabilités légales sous peine d’être sanctionnées. En conséquence, l’argent détourné par le pouvoir dans cette entreprise illégale devra tôt ou tard être récupéré par le Trésor public. La justice doit se préparer à poursuivre ceux qui sont impliqués dans cette vaste opération de détournements de fonds publics au préjudice de la nation. Demain, personne ne pourra prétexter l’ignorance vu le nombre d’avertissements lancés par les organisations de la société en général et les experts en droit en particulier.

L’action de Me Dantor Léger d’empêcher cette démarche par les moyens dont il dispose, est constitutionnelle. Tenter de déjouer l’imposture, fait partie de son devoir de citoyen. C’est quand même regrettable que ce soient les citoyens qui interviennent à la place des deux autres pouvoirs publics pour faire obstacle à l’abolition du texte constitutionnel alors que le peuple leur avait justement confié cette responsabilité. C’est un constat d’une immense faillite.

En ce qui concerne la question constitutionnelle, j’ai souligné plusieurs fois que le Président Moïse ne peut plus intervenir dans un temps qui n’existe plus. Le temps qu’il a eu pour apporter des changements justificatifs à la loi mère, a expiré. Ce n’est pas un président qui a prêté serment sur la Constitution qui peut la changer. Il a juré de la respecter et de la faire respecter. Le fait que la Constitution reconnaisse la faculté pour les pouvoirs publics de la modifier selon la procédure qu’elle prévoit, c’est qu’elle admet qu’elle n’est pas parfaite, par conséquent ouverte aux adaptations nécessaires. Le président Jovenel Moïse, pour n’avoir pas fait des propositions d’amendement à la Loi mère dans le délai constitutionnel prévu, reconnaît que le texte constitutionnel est conforme à notre évolution et admet du même coup sa perfection. Seul un gouvernement issu d’un ordre constitutionnel rompu, pourra opérer des changements, si le peuple, l’auteur de la Constitution, le souhaiterait.

En réponse à la protestation citoyenne, le pouvoir se doit d’avoir une attitude raisonnée et raisonnable afin d’éviter une escalade qui pourrait être très difficile à gérer. Il devait plutôt éviter d’intimider l’ancien élu de Léogane en utilisant l’arme judiciaire. Jovenel Moïse doit comprendre  qu’il se révèle totalement impossible d’organiser un référendum sur la Constitution rejetée par les citoyens et des élections contestées à l’avance cette année. Il devra plutôt aménager un espace de compromis pour faciliter la mise en place d’un gouvernement de transition.

Sonet Saint-Louis av
Professeur de droit constitutionnel, Faculté de droit, Université d’État
Québec, Canada
sonet.saintlouis@gmail.com

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