En mémoire d’Antoinette Duclaire, assassinée hier
À un moment où les assassinats spectaculaires se multiplient, le peuple aux abois, un calendrier électoral vient d’être rendu public avant la publication du décret réglementant ces élections. Dans le même temps, le référendum prévu le 27 juin dernier est reporté. Le cas de se demander sous l’égide de quelle Constitution les élections annoncées seront donc organisées.
Un fait étrange dans l’histoire politique haïtienne. Même le PHTK, le parti au pouvoir, s’étonne devant cette décision pour le moins insolite. On organise des élections et ensuite un référendum pour changer la Constitution sous l’égide de laquelle ces consultations populaires seront organisées, cela défie tout simplement le bon sens. L’équipe de surdoués du Palais National ne cesse de nous surprendre en posant des actes pour le moins étranges. Derrière ce jeu malsain doit cacher quelque chose de plus grave. Ou est-ce une stratégie pour justifier les quarante millions de dollars gaspillés dans un référendum illégal qui n’a pas pu avoir lieu à cause de la résistance du peuple ?
Pour organiser des élections, il faut un décret électoral, c’est une étape incontournable. Le pouvoir exécutif qui, depuis le 13 janvier 2020, cumule les fonctions législatives, devrait le savoir s’il veut avancer dans la direction qu’il s’est tracée.
Nos dirigeants vont de contradiction en contradiction, de confusion en confusion. À se demander s’ils ne sont pas devenus fous tant ils font preuve d’illogisme. Le texte constitutionnel de 1987 prévoit deux chambres et une gouvernance à deux. La Constitution de Jovenel Moïse n’en prévoit qu’une seule, celle des députés, un président qui exerce toute la plénitude du pouvoir exécutif et un vice-président avec qui il devrait normalement faire campagne. C’est du n’importe quoi. Cela n’est pas l’œuvre de politiciens qui font usage de la réflexion.
De même, l’idée combien insensée de préparer des consultations populaires dans cette ambiance de violence tout azimut, équivaut à danser sur le reste des dépouilles de la République. L’assassinat hier soir de la militante féministe et politique, Antoinette Duclaire et du journaliste Diego Charles est la preuve que la violence devient de plus en plus incontrôlable. Ces deux jeunes sont tombés avec leur espoir dans leurs yeux et leur rêve dans leur cœur. Un coup dur porté contre la jeunesse, le moins que l’on puisse dire.Je l’aimais. Elle m’aimait. Nous nous aimions.
La mort tragique de cette activiste annonce-t-elle la fin d’un cauchemar ? Que d’ombres dans cette longue marche vers la démocratie ! Car, beaucoup de dirigeants politiques qui se disent de l’opposition, à cause de leur goût du pouvoir, perdent le sens du juste, de la mesure et du bien commun. Ils méconnaissent l’éthique parce qu’il leur manque un ensemble de valeurs pour les aider à construire l’espace public afin de permettre à chaque citoyen d’atteindre son but supérieur. On ne contribue pas à une dictature : on la combat. Il y a des principes sur lesquels on ne négocie pas.
Les élections constituent la voie démocratique par excellence. Le décret électoral est une étape importante dans l’organisation des élections, car il sert non seulement de base au processus électoral mais il favorise la libre participation des électeurs. Mais quel sera son fondement juridique, c’est-à-dire de quel texte légal il s’inspirera ? Du projet de référendum qui promet une autre constitution non encore née ou celle de 1987 enterrée par le régime ? Encore un flou artistique.
En tout cas, on ne peut pas diriger un pays de la sorte : un jour la Constitution existe et sert de référence, un autre jour elle est exclue. Tout se passe selon la volonté du Roi. Qu’on se rappelle par exemple que le Comité établi par le pouvoir pour rédiger la nouvelle constitution avait prêté serment sur l’acte de l’Indépendance, un document officiel certes mais non juridique. La charte fondamentale, qui constitue le document de référence juridique par excellence de la nation, a été bel et bien écartée. Pourtant le président dudit comité, Me Alexandre Boniface, ancien président de la Cour de cassation qui se vantait d’être un icône du droit, a prêté à ce jeu insensé. Cette constitution qu’on voulait remettre en vie n’a pas été visée dans plusieurs décrets pris par l’Exécutif « de facto » depuis un certain temps. La Loi mère ne fait plus donc partie de notre droit.
La rareté en compétences se fait sentir partout. Les décisions insensées sont cautionnées par une communauté internationale qui n’arrête pas, elle aussi, de faire fausse route. Il ne serait pas exagéré d’avancer qu’elle a contribué à ce climat délétère dans lequel patauge Haïti. D’ailleurs l’étranger n’a qu’une seule réponse à la détresse haïtienne : l’organisation des élections. Que celles-ci se tiennent sous le contrôle de la fédération des gangs, ne semble gêner les « tuteurs » étrangers. N’est-ce Madame Hélène Lalime, la représentante des Nations Unies en Haïti, qui a fait l’éloge de cette structure criminelle (le G-9) dans un rapport au Conseil de sécurité de l’ONU pour « sa contribution à la réduction de la violence et les cas d’enlèvement à Port-au-Prince ».
Dans la foulée, suite à sa mission en Haïti où elle avait rencontré les acteurs locaux, l’OEA au lieu de tracer la voie à une porte de sortie, renvoie plutôt dos à dos le pouvoir de facto et l’opposition. Ces institutions internationales ne souhaitent pas le départ de Jovenel Moïse au pouvoir avant le 7 février 2022 mais en même temps, elles lui imposent des décisions qu’il lui sera difficile de mettre en œuvre. Jovenel Moïse veut mettre en place un gouvernement qui ne sortira pas d’un véritable consensus dont la tâche sera compliquée. Ces élections planifiées pour le 26 septembre 2021 auront le même destin que le référendum du 27 juin 2021. On prévoit que le 26 septembre mettra fin à toutes les manœuvres du régime en place. Il n’y aura plus rien à l’ordre du jour, cette affaire sera évacuée, la messe dite pour les bandits légaux qui ont saccagé un pays pendant une décennie.
On s’achemine tout droit vers le chaos qui deviendra chaque jour plus grand. On ne peut rien sauver : l’ancien devient désuet. Il faut du nouveau ! La primauté de l’intérêt personnel sur le collectif empêche plus d’un de comprendre les choses et de les examiner à partir d’une réflexion froide et mûrie. Le sens de la bêtise est tellement élevé, la manière faire de la politique tellement illogique qu’on se demande à quoi servent les écoles dans cette République. Deux siècles plus tard, les âmes haïtiennes sont devenues aussi abruties que déraisonnables. Chez nous, quasiment tous les secteurs, à quelques exceptions près, semblent prendre plaisir à flirter avec l’absurde : la presse, la société civile, l’université, la classe politique, le secteur des affaires. Ces affamés de gains faciles ont conduit Haïti à sa perte. D’une rive à l’autre, ces brasseurs politiques sont beaucoup plus dangereux que les chefs de gangs de Martissant et de Village-de-Dieu. Ils ont perverti l’État et l’ont transformé en un haut lieu du crime organisé.
Notre pays devient une république abritant des abrutis, des médiocres, des sots grandiloquents qui ne croient en rien. C’est une nation déchue, incapable d’accéder au beau, au vrai, à la qualité et à l’excellence. Ce qu’un peuple ne doit jamais faire, c’est de confier à des âmes animales le pouvoir de décider pour lui. Nous avons atteint la ligne rouge lorsque nous décidons obstinément de barrer la route à l’intégrité, au patriotisme et à la compétence. Le rejet de ces valeurs nous a conduits à la caducité. Face à l’ampleur du désastre, nous devons opter pour une radicalité républicaine afin de pouvoir mieux rebondir dans l’histoire. Ramassons le drapeau ! Jeunesse haïtienne, soyons le virage qui maintient le cap et pave la voie ! Nous sommes aujourd’hui l’alternative, et demain encore nous !
Je suis Antoinette Duclaire, je suis Diego Charles. Deux absences dans ma présence.
Sonet Saint-Louis av
Professeur de droit constitutionnel
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