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Mgr Eugene Nugent, qui achève sa mission de nonce apostolique en Haïti avant de rejoindre le Koweït, revient sur les cinq années passées dans ce pays parmi les plus pauvres de la planète. Il confie à Vatican News son état d’esprit à l’approche du départ pour une représentation diplomatique en terre musulmane.

Mgr Eugene Nugent : »Il y a beaucoup d’injustices, des inégalités économiques et sociales. Une petite élite gère les richesses du pays depuis longtemps ».

Vatican News

Samedi 16 janvier 2021 ((rezonodwes.com))–Il y a onze ans, le 12 janvier 2010, un séisme dramatique en Haïti coûtait la vie à 222 000 personnes. La majorité des habitants vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, la reconstruction reste inachevée et la violence est endémique. Depuis l’automne les enlèvements contre rançon sont en recrudescence, et la communauté catholique n’est pas épargnée: une religieuse a ainsi été enlevée le 8 janvier dernier, puis libérée deux jours plus tard. Le marasme politique alimente cette instabilité. Le président Jovenel Moïse, largement contesté par la population, gouverne désormais par décret. Un référendum constitutionnel et des scrutins présidentiel, législatifs et locaux devraient se tenir d’ici la fin de l’année, mais leur organisation est un véritable défi.

Dans ce contexte, le Saint-Siège joue un important rôle de médiation politique et de soutien à l’Église locale. C’est ce dont témoigne Mgr Eugene Nugent, nonce apostolique en Haïti depuis 2015. Ce prélat irlandais achève sa mission dans quelques semaines. Le 7 janvier dernier, le Pape François l’a en effet désigné pour représenter le Saint-Siège au Koweït et au Qatar. Avant de rejoindre ces pays du Golfe, il nous confie ce qui a marqué son expérience en terre haïtienne:

Entretien avec Mgr Eugene Nugent réalisé par Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican

Quand je suis arrivé en 2015, nous étions en pleine phase de reconstruction des églises, après le séisme dévastateur de 2010. J’ai reçu le mandat de travailler étroitement avec la Conférence épiscopale, pour la reconstruction des églises, des presbytères, des couvents. Nous avons créé un organisme au sein de la Conférence épiscopale pour la bonne utilisation des fonds. J’ai continué le bon travail que mon prédécesseur, Mgr Auza, avait commencé après le séisme. Nous avons déjà terminé la reconstruction d’une trentaine – je pense – d’églises, de couvents, de presbytères. Et il reste encore beaucoup à faire, bien sûr.

Quel regard portez-vous sur les cinq années passées ici, en Haïti?

C’étaient des années intenses. La vie en Haïti est toujours intense, surtout sur le plan pastoral, bien sûr. J’ai visité tous les diocèses du pays, et certains diocèses plusieurs fois, pour des ordinations, des fêtes patronales… La vie diplomatique est elle aussi très intense, la vie politique. Il y a eu un moment très difficile en Haïti, le mois de juillet 2018: le pays a été verrouillé pendant trois jours, personne ne pouvait sortir à cause des manifestations. Après cela, il y a eu toute une série de manifestations, presque tous les jours, jusqu’au mois de décembre. La nonciature a accueilli le parti du gouvernement et l’opposition, pour une série de rencontres. C’était un moment très intéressant, très fort pour moi.

Quelle richesse tirez-vous de cette expérience, au niveau spirituel, ecclésial, et aussi en tant que représentant du Pape?

 Ce que j’ai trouvé extraordinaire et très enrichissant, ce sont surtout les rencontres que j’ai eues avec les gens, disons simples, surtout dans les bidonvilles. Des gens très pauvres, qui vivent vraiment dans la misère. J’ai passé plusieurs dimanches à visiter un orphelinat, géré par une sœur italienne, et beaucoup d’autres œuvres. Ça m’a beaucoup touché. Je pense que cette rencontre directe avec les jeunes, les enfants, les femmes, qui vivent vraiment dans une situation “infra-humaine”, a marqué ma vie.

Haïti est marquée par la violence, la pauvreté, les enlèvements, les révoltes, au quotidien. Pour quelles raisons le pays s’enfonce-t-il dans cette violence?

Il y a beaucoup d’injustices, des inégalités économiques et sociales. Une petite élite gère les richesses du pays depuis longtemps. Et puis, c’est bien connu: en Haïti, il y a beaucoup de corruption, de mal-gouvernance, mauvaise gestion, mauvaise administration, un gaspillage des fonds publics, des ressources naturelles et humaines. Les gens se sentent abandonnés, donc cela provoque de la violence. Il y a des gangs, surtout dans les bidonvilles, qui contrôlent les quartiers. Ces derniers temps, surtout depuis quelques mois, il y a des enlèvements presque chaque jour. Il y a deux semaines, j’ai visité un prêtre religieux haïtien qui a été enlevé pendant trois jours. C’était vraiment effrayant d’entendre son récit.

Vous allez passer de Haïti au Koweït et Qatar, d’un pays parmi les plus pauvres du monde à deux pays parmi les plus riches. Comment envisagez-vous ce changement, ce contraste?

Avec beaucoup de prière. Je vais me confier surtout à saint Joseph – cette année est l’année saint Joseph, le patron de l’Église -, j’ai toujours eu une grande dévotion et à la Vierge Marie, donc je suis sûr que j’aurai leur protection.

Mon premier poste était en Turquie: j’ai passé quatre ans en Turquie, en ayant donc cette expérience d’un pays musulman. Ensuite, j’ai été en Israël et en Palestine, une expérience avec des juifs et des musulmans en Terre Sainte. Quand j’étais à Madagascar, j’étais le délégué apostolique pour les îles de Comores, un pays musulman. J’ai donc cette petite expérience des pays musulmans, et j’espère que cela va m’aider pour commencer mon travail au Koweït et au Qatar, avec beaucoup de simplicité et de grâce… Je demande au Seigneur d’ouvrir le cœur des personnes pour un dialogue sincère et fraternel.

On sait que cette région compte beaucoup aux yeux du Pape qui veut approfondir le dialogue avec les musulmans. Savez-vous quelle mission vous attend, quels premiers défis vous aurez à relever?

Normalement, quand un nonce est nommé pour un autre pays, il doit passer par Rome pour recevoir des instructions. Mais à cause de la pandémie, je ne pourrai probablement pas aller à Rome, j’irai directement au Koweït. Là, on m’enverra les instructions, et c’est seulement à ce moment-là que je comprendrai mieux, plus en détails en tous cas, les attentes du Saint-Père et du Saint-Siège concernant cette nouvelle mission. Le Saint-Père insiste beaucoup sur le dialogue, l’ouverture, la fraternité. Je vais essayer, avec mes pauvres moyens, de promouvoir le dialogue selon les lignes que le Saint-Père nous a indiquées, selon son enseignement.